Après l’orage

Toute la nuit, une pluie diluvienne avait violemment battu les tuiles et les pierres du hameau. Au clair semi-obscur du matin, le ciel était encore chargé de lourds nuages gris mais le déluge avait cessé. Les herbes des prés, les feuilles des châtaigniers, tous les sentiers de terre et de roches ruisselaient encore de ce brutal baptême.

Il pleuvait rarement dans ces montagnes de la Cévenne ardéchoise. Mais lorsque le chant des cigales cessait et que le ciel tirait sa couverture grise, alors nous savions que toutes les puissances du ciel allaient se déchaîner. Dans cette partie des Cévennes, dominée par le massif du Tanargue, les orages étaient particulièrement terrifiants, et les Celtes d’autrefois avaient baptisé son majestueux sommet du nom de leur dieu du tonnerre, Tanaris, pensant qu’il y avait établi sa résidence.

Un sourd grondement attira l’attention vers l’extérieur de la ferme, il semblait remonter de la vallée. Ma compagne et moi avions gagné la terrasse du haut, véritable observatoire de montagne d’où l’on dominait les vallées de la Beaume et de la Drobie. Nous y avions une vue panoramique sur les contreforts du Tanargue et la montagne de Brison fièrement coiffée de sa tour féodale. Sous nos pieds, les dalles de pierre rouge étaient glissantes et l’air chargé d’une revigorante fraîcheur qui perçait nos narines. Le grondement était devenu fracas, il provenait du fond de la vallée. Cela ressemblait au rugissement d’un train. Immobiles sur ce balcon, nous embrassions d’un seul regard le panorama et ne pouvions prononcer un seul mot : nous contemplions l’ineffable.

De gigantesques résurgences jaillissaient des flancs des montagnes pour dévaler les pentes abruptes bousculant chênes et sapins. En des tourbillons d’écume, les chutes d’eau se déversaient en contrebas dans des ruisseaux débordants qui, à leur tour, allaient se noyer dans une rivière devenue fleuve tumultueux. Le grondement qui nous avait tirés à l’extérieur provenait des gorges où résonnait le fracas de ces flots furieux se heurtant aux roches métamorphiques. Le spectacle était grandiose, il nous semblait que la nature toute entière orchestrait rien que pour nous une symphonie à la gloire des éléments, de l’eau et de la terre.

En cet instant sacré où nos oreilles étaient étourdies et où nos regards se fondaient dans tant de beauté, toute pensée s’effaçait pour céder place à un sentiment étrange et vertigineux.  Un sentiment où se mélangeaient de la frayeur, face à ce déchaînement titanesque qui nous rendait petit et vulnérable mais aussi un sentiment d’émerveillement et de contemplation devant ces forces naturelles déployées. Médusés, nous restâmes silencieux sans bouger. Passé ce moment de sidération, un seul mot émergea dans mon esprit : merci. Un immense sentiment de gratitude envers la vie et les forces de l’univers m’envahissait. Nous n’étions ni en Suisse ni dans les Alpes autrichiennes, nous n’étions pas devant le Machu Picchu ni dans une lointaine montagne d’Amazonie.

Nous étions chez nous.