ça presse !!

 

Émile Zola disait du journal qu’il « tendait à mettre à la porte la littérature ». En désaccord sur ce point précis avec lui, je dois confesser, sans aucun doute possible, que c’est bien la presse écrite qui m’a aidé à mettre le pied dans l’écriture pour devenir, à ce jour, l’écrivain le plus célèbre de la place de la Recluse à Joyeuse. Au départ, mon engagement dans la PQR comme on dit (Presse Quotidienne Régionale) – à ne pas confondre avec le sigle SPQR qui était l’emblème d’un autre empire, celui de Rome – était dicté par des considérations bassement matérielles. Mon maigre salaire d’instituteur était alors grevé par de multiples pensions alimentaires et ma situation financière aggravée par de suicidaires crédits « revolving », ceux-là mêmes qui tournent très bien comme un « revolver » sur votre tempe…  

Au tournant de ce siècle, je rédigeais bénévolement un bulletin municipal, « L’écho de Joyeuse », quand le correspondant en place du journal « La Tribune », Pierre Crotte, qui officiait depuis 60 ans pour plusieurs journaux, me proposa de prendre sa succession au journal de Montélimar. Lui avait connu une époque héroïque, celle d’avant Internet. Il se déplaçait le plus souvent à vélo pour rencontrer des personnes ou assister à un évènement. Avec un crayon mine, il saisissait ses notes sur un carnet, puis prenait des photos avec un vieil Instamatic Kodak 500 afin de figer la rencontre sur une pellicule noir et blanc qu’il développait chez lui, dans un placard, chambre noire improvisée. Après un tirage sur papier, il tapait avec sa machine Olivetti un formulaire type qui devait être remis sans faute le lendemain au petit-matin dans une enveloppe spécifique qui partait dans un car faisant la navette quotidienne pour Aubenas.

Une époque de pionniers que je n’ai jamais connue. D’un côté, la procédure de collecte et de transmission avait été simplifiée par la photo numérique, le traitement de texte, les correspondances par mail et l’enregistrement direct des articles sur des réseaux intranet. D’un autre côté, le travail avait été complexifié, nous devions mettre en forme les articles qui devaient absolument entrer dans des cases au format prédéfini et ne supportaient aucune exception. Un article courant ne devait pas excéder 2000 signes, une photo légendée 600 signes, une virgule de trop et l’article était rejeté par le robot. De même pour les photos qui devaient comporter un nombre minimal de pixels, sinon poubelle ! Par ailleurs, la facilité de la communication faisait qu’on produisait de plus en plus d’articles et donc que l’on couvrait de plus en plus d’évènements.

Comme j’étais assimilé à un travailleur indépendant, j’étais libre de mes collaborations, et rapidement je me mis à travailler – découverts bancaires obligent –  non seulement pour « La Tribune », mais aussi pour le « Dauphiné Libéré », puis « Terre Vivaroise » et enfin « Midi-Libre ». Au mieux de ma forme de correspondant de presse, je produisais entre huit à dix articles par semaine, un nombre qui se trouvait multiplié par autant de journaux qui acceptaient mes piges. Les rédactions n’aimaient pas bien les « multicartes » dans mon genre car la concurrence entre certains de ces titres était parfois féroce. Une attitude qui me paraissait souvent surréaliste quand je savais que deux de ces titres travaillaient in fine pour les actionnaires d’un seul et même groupe de presse et qu’ils se partageaient les mêmes latrines dans leurs locaux d’Aubenas… Quoi qu’il en soit, ces rédactions me fixaient comme contraintes que mes articles soient toujours « uniques » ou « exclusifs ». Pour répondre à cette exigence de différenciation rédactionnelle,  je changeais dès lors systématiquement les titres et sous-titres de mes papiers et faisaient du Molière dans le corps de texte de mes papiers. Dans la Tribune « Vos beaux yeux, belle Marquise, me font mourir d’amour », devenait dans le Midi-Libre « D’amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux ». Et pour les illustrations photos, je prenais systématiquement des clichés avec des angles de vue « côté jardin » puis « côté cour », une vue de l’assistance depuis la tribune et une autre de la tribune vue depuis l’assistance. Parfois aussi je recadrais tout bonnement certaines photos pour qu’elles apparaissent différentes.

Parallèlement à mon boulot de prof, ce travail pour la presse écrite développa certaines aptitudes dans mes doigts et mon esprit, qui allaient sinon provoquer, au moins faciliter mon engagement dans l’écriture puis la littérature.  Une motivation qui se renforçait d’autant que je finissais à la longue par me lasser de tous ces reportages rarement passionnants qu’il me fallait couvrir. Je réalisais aussi que cette activité journalistique était extrêmement chronophage. Je m’étais amusé à calculer, grâce à l’informatique, que l’ensemble des articles de presse rédigés pour les journaux de 2001 à 2019, mis bout à bout, représentait l’équivalent d’un texte de plus d’un million de mots (1 416 960 exactement), soit en volume l’équivalent de la production de 34 ouvrages comme l’Énigme Boissel. C’est pour cela qu’en 2019, je décidais de mettre un terme à plusieurs de ces collaborations, ne conservant qu’une seule carte de presse au journal La Tribune pour lequel j’effectue encore occasionnellement des portraits ou des reportages.

Le job de correspondant de presse m’aura fait découvrir une mission de contact au service d’un territoire et de ses habitants. Grâce à cette fonction, j’ai eu la chance de rencontrer de belles personnes. Je  me souviens de magnifiques rencontres avec Monseigneur Gayot, l’évêque sans diocèse, Jean-Pierre Mocky, le cinéaste sans salles de cinéma, le philosophe Pierre Rabhi, l’astrophysicien André Brahic, l’historien de la Révolution Claude Mazauric, le chanteur Christian Decamps du groupe Ange ou encore plus localement la dramaturge Zarina Khan ou l’écrivaine Diane Peylin. Mais j’ai aussi rencontré de très belles personnes chez des anonymes, des bénévoles du monde associatif, des artistes ou encore des entrepreneurs ou acteurs de terrain discrets. Des personnes âgées aussi, comme Arnal Kléber que j’ai eu le bonheur d’interviewer et filmer à plusieurs reprises à l’hôpital de Joyeuse et qui vécut 103 ans, ou encore Alfred Paravy, 94 ans, un ancien pilote de chasse, vétéran de la Seconde Guerre mondiale. Bien mieux que d’avoir appris à manier le stylo ou le clavier, de mettre converti à l’écriture ou à la littérature, la plus beau des enrichissements aura été, pour moi, d’avoir appris à m’ouvrir aux autres, d’avoir appris à aimer les gens.

Alors merci Pierre Crotte, toi qui as rejoint le paradis des photographes correspondants de presse en 2012, en me transmettant ton flambeau en 2001, tu m’as fait le plus beau des cadeaux, une plume de Pierrot.

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