Chabert, portrait d’un général d’Empire

Plusieurs acteurs ont incarné lors des visites théâtralisées du vieux Joyeuse le colonel Chabert, qui devint par la suite général. Pierre Chabert, général d’Empire né à Joyeuse, a-t-il inspiré l’œuvre de Balzac « Le colonel Chabert » ?

Un parcours exemplaire

Né à Joyeuse le 30 septembre 1770 et décédé le 14 février 1839 à Besançon, Pierre Chabert connut une ascension sociale fulgurante à la faveur d’une belle carrière militaire et des opportunités de la révolution et de l’Empire. Fils d’un boulanger de Joyeuse, il fut domestique avant la Révolution, servant comme valet de chambre chez la comtesse de Montravel. Lorsqu’il s’enrôle le 12 septembre 1792 dans les armées de la République à l’occasion du passage à joyeuse d’un corps de volontaires il va présenter ses adieux à Mme la Comtesse qui lui dit alors : « Mon jeune ami, revenez me voir quand vous serez général ! » Et lorsque Mme de Montravel lui écrivit en juillet 1809 pour l’inviter chez elle, il lui répondit « Mme, je ne suis pas encore général !» Et ce n’est qu’un an plus tard qu’il revint effectivement à Joyeuse et qu’il lui rendit visite avec son grade de Général fraîchement acquis. Malgré sa faible instruction (il savait à peine lire) il est promu rapidement au grade de sergent major en raison de sa grande taille. Intégré dans le 2° bataillon de la Haute-Garonne, il fait campagne dans l’armée des Pyrénées orientales.

Doué d’une puissance de travail qui faisait de lui un véritable autodidacte, ses aptitudes physiques et sa détermination personnelle vont lui ouvrir dans l’armée de vastes horizons.  Blessé d’un coup de feu à l’épaule gauche, il est fait prisonnier à Belver le 26 juillet 1795. Libéré il devient Capitaine en décembre suivant et rejoint l’armée d’Italie pour devenir l’adjoint du général Baciocchi puis servir en Corse en 1800-1801.  Baciocchi le prend alors sous sa protection alors qu’un favorable destin de corse et de soldat le fait devenir beau-frère de Bonaparte. Il est ensuite adjoint à l’état-major général du corps d’observateur de la Gironde. Blessé à la main gauche au cours d’une reconnaissance sur la frontière du Portugal en juillet 1807, sous les ordres du général Leclerc, il est affecté comme adjoint à différents états-majors généraux (Bayonne, Brest) avant d’intégrer la Grande Armée en 1807.  Devenu Colonel en second en 1809, il commande la place de Custrin. Par ordre de l’empereur, il passe en décembre 1809 au service du roi de Westphalie (Jérôme Bonaparte) pour y organiser l’infanterie westphalienne à l’instar des troupes françaises.

Aide de camp de Jérôme Bonaparte

Devenu aide de camp de Jérôme Bonaparte, poste qu’il occupe jusqu’à la chute de l’Empire, il est promu général de brigade le 4 septembre 1810, puis Capitaine Général des gardes du Roi en décembre 1811 avant de servir en Russie en 1812 comme chef d’état-major de l’armée westphalienne.  Il revint à Cassel avec le roi Jérôme en août 1812. Promu général de division le 1er janvier 1813, il rentre au service de la France le 8 janvier 1814 et commanda en février une brigade de la garde nationale à Paris, puis en mars la levée en masse du département de l’Aisne, prenant part à la bataille de Paris. Commandant à Cherbourg, puis du département de la Haute-Marne sous la première restauration, il fut maintenu dans ce commandement aux 100 jours. Au retour des Bourbons, Louis XVIII lui garda son grade et lui conféra le titre de Baron par ordonnance royale du 23 décembre 1822. Il eut le commandement des Armées dans le Jura et le Doubs, prit sa retraite le 12 mai 1833 et mourut à Besançon le 14 février 1839.  Décoré de la croix de Saint Louis, il fut chevalier, puis officier et commandeur de la Légion d’Honneur. Il avait épousé le 24 aout 1803 Jeanne Boely, (née le 24/12/1779 à Versailles), fille de Jean-François Boely, musicien protégé par Louis XVI, maître de harpe de Madame la Comtesse d’Artois et de Catherine Leveque, femme de chambre de Mgr le Duc de Berry.

Action d’éclat du capitaine Chabert (extrait des états de service) : « Le 27 nivose an 5 (16 janvier 1797), fesant partie de la division Augereau à l’armée d’Italie, à la bataille de la  Favorite, la capitaine Chabert, aussitôt que le Général Autrichien Provera eut passé l’Adige au pont d’Anjuarez au-dessus de Lignago, réunit une quinzaine de tirailleurs et se porta sur une ferme ou se trouva un grand nombre d’ennemi. Après avoir escaladé et franchi les murs de la Cour de cette ferme, il parvint à faire Cent cinquante hommes, prisonniers de guerre. Sa conduite dans cette circonstance lui mérita de la part des Généraux Augereau, Lannes et de l’Adjudant Général Dufaux des éloges flateurs. »

Pierre Chabert a son nom gravé sous l’arc de triomphe à Paris.

Pierre Chabert a-t-il inspiré l’œuvre de Balzac : « Le colonel Chabert » ? …

L’histoire du  personnage central du roman du célèbre écrivain français, est celle du soldat disparu qui à son retour trouve sa femme vivant avec un autre homme. Ce type de récit remonte aussi loin qu’Agamemnon mais des cas réels ont abondé sous la République et l’Empire. Notamment parmi eux le général d’Ornano qui fut porté pour mort et enterré pendant la campagne de Russie. Revenu à lui, il fut recueilli et ramené en France dans le landau de l’empereur ; mais pour le reste son histoire diffère beaucoup de celle de Balzac. Comme beaucoup d’écrivains, Balzac tirait l’inspiration de son œuvre des faits de son époque, et bien souvent des faits divers. On peut donc penser que Balzac ai pu être frappé par un cas qu’il aurait personnellement connu, mais il n’est pas facile de l’identifier. Plusieurs Chabert ont existé sous l’Empire, mais au jeu de l’identification, aucun ne présente autant d’analogies avec le personnage de Balzac que le général Pierre Chabert de Joyeuse. Citons-les : Tous les deux sont issus d’une origine modeste.  Tous deux connaîtront une fulgurante ascension sociale grâce aux bouleversements de la Révolution et de l’Empire, qui leur apporteront un nom, un grade et un titre. Alors que le général Pierre Chabert est baron, le personnage de Balzac est comte, colonel de la Garde impériale, ce qui lui donne le rang de général.  Le personnage de Balzac serait né vers 1770 or Pierre Chabert est né en 1770. Pierre Chabert participa à la bataille de Eylau comme colonel, celle-là même où le Chabert de Balzac se fit enterrer vivant. Par contre Pierre Chabert n’a pas disparu comme le héros de la nouvelle.  Divers indices aiguillent plutôt les recherches non vers Eylau, mais vers la Russie, et en particulier vers un autre général, de Saint-Geniès, disparu en 1812 près d’Ostrowno, et porté comme mortellement blessé dans le Bulletin de la grande Armée. Revenu en France en 1814, il n’est plus qu’un demi-solde, établi près de Tours, puis près de Vouvray… où Balzac avait des amis, qui peuvent lui avoir parlé de ce « mort-vivant ».

Alors ? Balzac s’est-il inspiré de ce fait divers pour le revêtir d’éléments biographiques empruntés à la personnalité d’un Pierre Chabert rencontré dans les années 1820-1830 à Besançon ?  La question reste posée. Toujours est-il qu’au jeu de l’identification, les éditions Gallimard cite Pierre Chabert dans la préface de l’une des dernières réédition du Colonel Chabert…