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L’âme prisonnière du Château de Joyeuse

 

Cité ducale selon l’histoire, cité carolingienne selon la légende depuis que Charlemagne lui aurait donné le nom de son épée, « Joyeuse » est aujourd’hui un bourg touristique en Ardèche méridionale.  Accroché sur un éperon rocheux dominant la vallée de la Beaume, au cœur de la vieille ville, son château seigneurial n’était plus que l’ombre de ce qu’il fut durant la Renaissance.  Détruit pour moitié après la Révolution, reconverti en école puis en Mairie au XIXe, le bâtiment allait connaître une nouvelle mutation au tournant de l’année 2021. La nouvelle municipalité ayant décidé le transfert de la mairie dans de nouveaux locaux, il fut acté que l’ancien château serait reconverti en un pôle culturel hébergeant un musée, une radio et TV locale, une bibliothèque, ainsi qu’un centre de documentation historique.

En tant que président de l’association destinée à gérer ce nouvel espace, j’avais invité Alexandra à venir jeter « un coup d’œil » dans la bâtisse, à l’occasion de son passage en Ardèche en cette fin du mois de juillet 2021. A cette époque, le château était encore occupé pour moitié de son espace par les services de la mairie qui n’avaient pas encore réalisé leur transfert dans un nouveau bâtiment en cours de travaux. Grâce au ressenti et aux perceptions d’Alexandra, je souhaitais juste avoir un diagnostic énergétique d’ensemble de la bâtisse.

Arrivés sur le site, je leur fis visiter le rez-de-chaussée et le premier étage du bâtiment, deux niveaux qui correspondaient aux services de la mairie, dont les bureaux étaient ouverts ce jour-là. Ancienne bâtisse du XVe siècle reconstruite sur les bases d’un château médiéval plus ancien, les salles reconverties dans une fonction administrative n’avaient guère conservé le lustre du temps des seigneurs de Joyeuse, à l’exception toutefois du bureau du maire qui avait préservé son cachet historique. Ce dernier s’articulait autour d’une vaste salle aux pierres apparentes éclairée par deux grandes fenêtres à meneaux, typiques de l’architecture Renaissance. Une imposante cheminée en pierre taillée faisait face à une magnifique bibliothèque de livres anciens. Trois tableaux d’époque ornaient les murs dont une toile du XVIe représentant le Cardinal de Joyeuse.

Par un escalier en colimaçon, nous avions gagné ensuite les deux niveaux supérieurs que nous avions parcourus rapidement. Ils consistaient en des appartements et locaux vacants puis en un vaste grenier totalement vide mais plein de poussière : il n’avait d’intérêt que pour sa charpente. Il n’y avait rien de particulier à signaler sur ces lieux selon Alexandra. Concernant les locaux occupés par la mairie, elle constata simplement une certaine lourdeur énergétique due à la présence d’une trame énergétique grisâtre qui l’empêcha de bien percevoir la qualité vibratoire des lieux. Un état des lieux qui n’avait rien d’inquiétant ni d’étonnant de son point de vue car elle avait déjà fait, à plusieurs reprises, ce constat dans des locaux d’administrations où l’activité humaine était soumise à de multiples interférences liées aux réseaux électriques, à la présence de plusieurs lignes téléphoniques et de postes informatiques. « On reviendra plus tard, quand les services de la mairie auront déménagé pour mieux explorer les mémoires du site, mais pour l’heure il n’y a rien d’inquiétant à signaler », conclura-t-elle. Alors que nous regagnions la sortie et que je remettais le trousseau emprunté sur le tableau des clés à l’accueil du rez-de-chaussée, je saisis instinctivement la grosse clé en fer forgé de la porte qui commandait l’accès aux sous-sols du château. « Et jeter un coup d’œil dans les caves, ça vous dirait ? » demandais-je sur un ton faussement désintéressé. « Allons-y ! » réagit promptement Alex qui était toujours partante pour toute aventure dès qu’il était question d’exploration.

Quatre salles constituaient le soubassement du château ; on y accédait par une vieille porte extérieure en châtaignier massif. D’apparence robuste avec ses nombreux clous en fer forgé de renfort, elle ne pouvait toutefois cacher la fatigue du passage du temps et la patine des rayons du soleil. Après avoir actionné l’impressionnante clé dans la serrure qui n’était rouillée qu’en apparence, je fis grincer la lourde porte et m’engageai dans l’obscurité pour aller actionner un interrupteur qui n’activa qu’un éclairage partiel des lieux. Dès le franchissement du seuil de la première salle, Alexandra marqua un temps d’arrêt. « Là il y a autre chose… Il y a de la souffrance. On a trainé de force et même violemment des hommes qui ont souffert. Certains en sont même morts ». Je lui confirmai que durant la Révolution, le château avait été réquisitionné pour servir de prison. Elle resta silencieuse et balaya du regard l’espace pour conclure : « Ça va, ce ne sont que des mémoires anciennes inscrites dans les murs. Ca se nettoiera facilement ». À la différence radicale du grenier, un invraisemblable bric-à-brac avait été entreposé dans le sous-sol du château mairie, regroupant pêle-mêle des encombrants divers, de vieux ordinateurs, des cartons de papiers sans valeurs, mais aussi des objets manifestement des siècles passés. Il y avait notamment : les éléments d’une cheminée démontée aux pièces en marbre ; deux fûts de fauconneaux (canons en bronze d’époque Renaissance dont l’un avait la culasse éclatée) ; des statuettes en plâtre abîmées et de vieux accessoires religieux qui provenaient de l’église voisine. Alexandra saisit le vestige d’une statuette en couleur d’ange dont il ne restait que les deux mains jointes solidairement et encore arrimées à une tête qui affichait un doux sourire. Elle positionna l’objet sur un mur, cela procura l’effet émouvant d’un angelot émergeant de la pierre.

Une des pièces était encombrée d’archives, en réalité des caisses de papier, sans valeur administrative ou historique, hormis pour les souris. Dans la pièce suivante se trouvait la chaudière du chauffage central au mazout. La citerne, posée dans une alcôve attenante dégageait une odeur âcre de gas-oil. Par un petit escalier de pierre, nous descendîmes dans la dernière salle qui était aussi la plus vaste. Nettement plus intéressante que les précédentes, elle était voûtée comme une chapelle romane et dotée d’un magnifique appareillage de pierres taillées. Seule une lucarne située toute en hauteur distillait une faible lueur sur un sol en terre battue. Il fallut recourir aux éclairages LED de nos smartphones pour dissiper un peu l’obscurité ambiante. L’espace était nettement moins encombré que dans les précédentes salles : quelques éléments d’un vieux mobilier scolaire ; des chaises rouillées ; d’anciens lampadaires…

Après avoir fait quelques pas, Alexandra s’arrêta à quelques mètres de la descente d’escalier et se tourna brusquement sur sa droite en pointant du doigt la paroi ouest de la salle. « Là, il y a autre chose ! C’est derrière ce mur, plus loin, et ce n’est pas une mémoire figée. C’est bien un corps astral, une âme qui est bloquée ». Elle donnait l’impression de lire sur le mur comme sur un écran de télévision. « C’est une âme noire qui fut un seigneur en ces lieux autrefois. Mon Dieu, il a assassiné sa femme !… De manière horrible… ». « C’était pendant la Révolution ? » l’interrompis-je. « Non, c’était avant. J’ai toujours du mal à percevoir et donner des dates précises, mais au vu des tenues, je dirais plus ou moins autour du XVIIe siècle. Elle se retourna vers moi pour donner un verdict sans appel : « Il y a un travail à faire là. Il nous faudra revenir ». « Faudra-t-il revenir précisément ici ? » m’inquiétais-je ? Je me voyais déjà devoir négocier un accès aux clés du sous-sol en plein week-end de fermeture des services de la mairie puisque nous étions déjà le vendredi 30 juillet 2021. « Non, nous pourrons faire le travail depuis le parvis du château. On fera ça ce soir, quand il y aura moins de touristes alentour » rassura Alexandra.

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Dans l’après-midi de cette belle journée ensoleillée, je contactai Jacques Lacour, l’ancien maire. C’était une personnalité férue d’histoire locale, maire honoraire de la commune, avec qui je m’étais autrefois opposé politiquement, mais qu’une passion partagée pour l’histoire de Joyeuse nous avait rapprochés et finalement liés d’amitié. Il se définissait en « copiste » de l’histoire locale plutôt qu’en historien à proprement parler. Son érudition, qui concernait l’histoire du village en général et du duché de Joyeuse en particulier n’était plus à démontrer. Lorsque je lui demandais s’il avait connaissance d’un seigneur de Joyeuse qui aurait tué sa femme au château, il répondit immédiatement sans avoir besoin de consulter ses notes : « Un seigneur de Joyeuse à proprement parler ? Non. En revanche un notable installé au château, oui ! »

Et mon maire honoraire de m’expliquer qu’au début du XVIIIe siècle, résidait au château le sieur Jacques Louis Roussel, qui fut juge mage du duché de Joyeuse avant d’en devenir le procureur général et l’intendant de la Princesse de Lillebonne, Élisabeth Thérèse de Lorraine (1664 – 1748). Cette dernière était dame de Joyeuse et fut la mère du dernier duc en titre de Joyeuse, Louis de Melun. Jacques Roussel occupait le château ducal dont il avait la charge et faisait en quelque sorte office de « maire du palais » pour la seigneurie et son duché. Manifestement c’était un personnage despotique dont le comportement ne laissa pas de bons souvenirs aux habitants du duché d’après les archives. Le 17 janvier 1715, il s’opposa à l’élection des consuls sous prétexte que le pouvoir de nomination appartenait au seigneur dans le cadre d’un duché-pairie. Il s’ensuivit une procédure que ce dernier perdit devant les tribunaux de Montpellier.

Ce personnage autocratique, issue d’une famille noble de Vogüe, avait épousé Marie Cécile de Fages, la fille aînée du seigneur de Chaulnes (Ailhon), née en 1690. Il fut accusé d’avoir assassiné celle-ci en 1729, d’avoir coupé son corps en morceaux qu’il avait ensuite jeté dans les latrines du château. Après avoir commis son méfait, il disparut dans des circonstances mystérieuses, fut jugé et condamné par contumace en 1730.

Jacques Lacour m’interrogea sur les raisons de mon intérêt pour ce sordide fait divers remontant à plus de 250 ans. Rationaliste et athée, ne croyant ni à Dieu, ni à Diable, je ne savais comment lui présenter l’affaire. Me souvenant qu’il était plutôt ouvert au magnétisme, à la géobiologie et à la mémoire des choses et des lieux, je lui présentais sous cet angle les perceptions d’Alexandra. Cette approche eut l’art de l’intéresser puisqu’il me suggéra de lui demander où se trouvait, selon ses perceptions, l’emplacement des latrines du château. Il me précisa là où son intuition lui faisait ressentir cet emplacement : à l’entrée immédiate du parvis du château, plus ou moins à proximité de l’escalier de pierre qui en permettait l’accès. Avant de le quitter, il me remit des photocopies de documents relatifs au procès qu’il avait scannés aux archives de Privas.

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Au soir, nous revînmes à trois – Alexandra, une amie intéressée par le sujet et moi-même – sur le parvis du château. Je craignais que nous soyons dérangés par des touristes en promenade, mais par chance, ce soir-là, le parvis était désert. A peine Alexandra eut-elle gravi l’escalier d’accès à l’esplanade qu’elle s’immobilisa net à trois marches : « C’est ici ! » Elle ferma les yeux et précisa : « C’est profond dans le sol, il y a encore des os de la malheureuse épouse. L’âme de ce noble est prisonnière des latrines qui sont devenues son cachot ». Nous étions à un ou deux mètres de l’endroit que Jacques Lacour m’avait signalé. « Est-ce son âme ou plutôt une mémoire du passé ? » interrogeai-je. « Non ! c’est bien une âme, un corps astral qui souffre dans la réclusion de ce cachot qui fut le réceptacle de son crime ».  « Son âme est toujours là, 250 ans plus tard ?! » insistai-je. « La notion de temps est relative à l’espace, et donc à la matière, Pierre Antoine. Dans l’astral, il n’y a plus de matière et dès lors la perception du temps devient très relative. 250 ans peuvent s’écouler dans notre espace-temps qui ne correspondent qu’à la perception d’une dizaine d’années dans cette dimension parallèle ».

Nous gagnâmes le parvis du château et nous nous relièrent pour former un cercle. Alexandra commenta : « Je me connecte à son corps astral… C’est un homme dur, cruel, qui n’a aucun respect pour les femmes. Pire, il les méprise et les considère comme des créatures inférieures, de simples ventres… Il a assassiné son épouse avec l’aide d’une autre femme. « Une maîtresse ? » lui demandais-je. « Non, plutôt une domestique, complice… Je le vois lié à une sorte de société secrète, très sombre. Des notables, qui vont l’aider à fuir et à échapper à la justice… Sa présence dans le sous-sol du parvis du château crée un nœud énergétique qui n’est pas une bonne chose ni pour la mairie ni pour la commune, car cela bloque un réseau d’énergie positive dans le sol. Il faut le faire monter dans la lumière ».

Nous unîmes nos pensées pour répondre à l’intention exprimée par Alexandra. Celle-ci communiqua à voix haute pour nous permettre de suivre en quelque sorte la conversation.

« Il me voit. Il pense que je suis un ange. Je l’invite à monter, mais il refuse, car il redoute le jugement de Dieu ». « Tu n’as pas à craindre le jugement de Dieu qui est amour et pardon. Tu es libre, Jacques Roussel. Tu as purgé ta peine ! » Il y eut un silence, puis Alexandra reprit : « Il ne veut pas monter. J’insiste, mais il résiste. Il est enterré et enferré dans un terrible sentiment de culpabilité et de honte… » Puis elle s’exclama : « Oh ! Un être de lumière arrive ! C’est sa femme qu’il avait tuée !! Elle vient le chercher et lui dit qu’il est pardonné, qu’ELLE lui pardonne et qu’il peut désormais monter pour la rejoindre… Il est en pleurs, il me regarde, il regarde sa femme… Ça y est ! Son cœur s’ouvre, la lumière passe, il se laisse monter… Il nous dit MERCI et il le répète inlassablement. »

La séance de passage d’âme s’était déroulée rapidement. J’ai toujours été impressionné par l’aisance avec laquelle Alexandra réussissait à effectuer ce genre d’intervention qui était pour moi bien au-delà du registre de l’énergétique ou du spirite. Nous étions bien dans un registre éminemment spirituel où s’associaient le cœur et l’âme. Nous regagnâmes notre maison de la place de la Recluse avec un magnifique sentiment de joie en partage. Cette scène se déroulait au soir du vendredi 30 juillet 2021. Dans la nuit qui suivit, vers les deux heures du matin, alors qu’aucun orage n’avait été signalé et qu’il n’y avait aucun nuage dans le ciel de Joyeuse, la foudre tomba sur le clocher de l’église ducale. Un orage sec comme on le qualifie parfois. Il fallut presque trois jours pour rétablir complètement le courant dans l’édifice religieux ainsi que dans certaines maisons attenantes. Un hasard peut-être ? Le lendemain matin, j’ai aimé repenser à cette citation du grand Einstein : « Le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito ».

Épilogue : Le lendemain après-midi, nous nous rendîmes chez Didier, un ami éditeur qui était installé depuis deux ans à Joyeuse sur la place de la gare. Il était versé dans la radiesthésie et faisait partie d’un groupe de géobiologistes qui se réunissaient régulièrement pour établir les cartes énergétiques de lieux ardéchois ou de bâtiments et y effectuer parfois des nettoyages, si nécessaire. Lorsqu’il avait fait l’acquisition de son local commercial (qui était une ancienne discothèque située en sous-sol d’une brasserie), il avait fortement mobilisé son groupe d’amis tant les lieux étaient chargés d’énergies basses et pollués par la présence d’indésirables qui avaient « squatté » l’établissement. Ils avaient ainsi évacué une douzaine d’entités ainsi que l’âme de l’ancien gérant décédé qui était toujours assis à l’emplacement habituel qu’il occupait derrière le bar. Didier était intéressé de rencontrer Alexandra pour avoir son regard intérieur sur son local professionnel dont le taux vibratoire restait toujours très bas. Nous étions attendus pour le café. À notre arrivée, Didier était penché sur une carte et faisait tourner son pendule. Il nous accueillit chaleureusement et une fois le café servi nous fit part de son étonnement. Alors qu’il relevait régulièrement le taux vibratoire de son établissement (qui était toujours très bas), il constata que celui-ci était désormais anormalement élevé. Quelque chose avait changé sur le plan vibratoire, mais il ne comprenait pas l’origine de ce changement.

Nous lui racontâmes le travail de passeur d’âme qui avait été fait au château la veille au soir par Alexandra et cette étonnante coïncidence de la foudre tombée dans la nuit sur le clocher de l’église. Après un rapide balayage intérieur des lieux, Alexandra lui confirma qu’elle ne percevait aucune entité astrale particulière dans son local, mais qu’en revanche, il y avait clairement un réseau aquifère souterrain qui passait juste en dessous du local. Il établissait ainsi un contact énergétique étroit entre ce dernier et la vieille ville. Par le nettoyage réalisé la veille, un « bouchon » énergétique de nature astrale venait de se dissoudre dans le castrum, et ce déblocage avait eu pour effet d’améliorer la circulation d’une partie du fluide éthérique dans les « nadis » terrestres ou canaux énergétiques de la ville. Par voie de conséquence, cela avait également amélioré le taux vibratoire de son local qui était directement en prise par la situation de son sous-sol. Je questionnai Alexandra sur la difficulté pour moi de me représenter qu’une âme prisonnière des limbes, autrement dit une entité astrale bloquée dans son espace-temps, puisse générer un blocage de l’énergie tellurique. « Tout est énergie dans l’univers. Et la pensée et l’émotion commandent les énergies », répondit-elle. « Elle peut même commander la foudre », ajouta-t-elle avec un sourire.

Nota bene : L’exploitation des archives de Privas m’apprit plus tard, dans un document en date du 29 juin 1732, que le sieur Jacques Roussel, assassin de sa femme, avait été aidé dans sa criminelle entreprise « par sa servante Marie Deydre » et qu’il avait été condamné à mort par contumace le 3 décembre 1731. Il avait bénéficié de « complicités extérieures pour échapper à la justice ». Les perceptions liées au don de clairvoyance d’Alexandra avaient donc vu juste.

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