Extrait :

Témoignage de André Maéro. Salon-de-Provence.

« Année 1944, la France sous l’occupation allemande vit dans l’espoir du débarquement allié… En ce mois d’avril 1944, j’ai 18 ans et comme beaucoup de jeunes de mon âge, pour échapper au S.T.O. (Service du Travail Obligatoire qui vous envoie en Allemagne), je suis employé dans un bureau à Salon afin de posséder une Carte de Travail.

« L’École de l’Air de Salon est occupée par l’aviation allemande « La Luftwaffe » qui l’utilise comme base aérienne militaire. Lorsque les bombardiers américains viennent pilonner la base aérienne, les autorités allemandes ordonnent à la police d’aller sur les lieux de travail réquisitionner les jeunes hommes et jeunes gens pour que des camions allemands les emmènent sur la base où ils sont divisés par groupes afin de les répartir auprès de chaque trou. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, j’ai été « ramassé pour boucher les trous » (c’était l’expression employée à l’époque) et que je me retrouve, soit avec une pelle, soit avec une brouette dans les mains, gardé par un soldat allemand arme à l’épaule. D’autres fois, nous faisions des va-et-vient sur des camions gazogènes entre le terrain d’aviation et une carrière des environs, pour aller charger des camions de pierres et ensuite aller les vider dans ces trous, et toujours sous la garde d’une sentinelle armée.

 « Un jour que nous étions occupés à la carrière, un copain et moi, à déverser des wagonnets de pierres pour remplir un camion, je vois celui-ci caché derrière un wagonnet, tracer au crayon des ronds sur une carte d’état-major, sortie discrètement de sa chemise. Je suis surpris ! Il me fait signe de la main de garder le silence et m’explique à voix basse : « Ce sont des cartes d’état-major anglaises. Sur l’une, je note toutes les batteries de D.C.A. allemandes que je repère lors de nos déplacements autour du camp. Elles sont de moins en moins nombreuses : 7 ou 8 en tout, entre celles de 8/mm et celles de 20/mm. Sur l’autre carte, je vais leur signaler que, tous les avions stationnés sur la base qu’ils aperçoivent du ciel sont factices, fabriqués avec du bois et du carton peints. Ce sont des leurres pour les tromper et faire croire aux Alliés que l’aviation allemande possède encore d’importantes escadrilles, alors qu’il ne reste plus que 7 Junker 88 et 3 Focke-Wulf 190 sur  la base.

 « Je te connais bien, je sais que je peux avoir entièrement confiance en toi, tu vas me rendre un service : tu sais que de temps en temps, on est fouillés à la sortie du camp. Malgré ce risque, il faut sortir ces cartes. Viens derrière le bosquet, tu te déchausses, tu plies la carte des faux avions, tu la glisses au fond de ta chaussette, et tu renfiles ta « godasse ». Moi je fais pareil avec l’autre carte et ce soir, nous les sortons du camp. On se retrouvera en ville près de l’église Saint Laurent. À ce soir en ville, j’espère ? ». Bien que peu rassuré, je sors le soir dans ma chaussette, à la barbe des occupants, la fameuse carte des avions factices.

« Nous nous retrouvons en ville, le soir, à l’endroit convenu. Je lui rends la carte afin qu’il la remette à son contact qui doit la faire parvenir à Londres. Bien des jours se sont écoulés, nous sommes en mai 1944, les bombardements américains se sont multipliés sur la base et je me retrouve de plus en plus souvent comme d’autres, à « reboucher les trous ». « Il paraîtrait que le débarquement serait proche » murmure-t-on en ville. Nous les jeunes sommes requis sur le camp, gardés par une sentinelle armée. Nous faisons semblant de travailler, et de temps à autre, lorsque nous le pouvons, nous enterrons en cachette une pelle ou une brouette sous le déchargement des camions de pierres et n’ayant plus d’outils de travail, la sentinelle nous envoie en chercher à la cabane à outils située à l’autre bout du terrain, ce qui nous permet de « ne rien foutre » durant ce long trajet.

 « En ce mois de mai 1944, il fait sec et chaud sous le soleil qui frappe sur le camp, il est environ midi ce jour-là, lorsque soudain le son lugubre et modulé de la sirène du camp retentit, annonçant une attaque aérienne : ALARM, ALARM, ATTACK… crient les « Fridolins ». Au loin, le soldat en faction à la cabane à outils replie aussitôt la grande flèche verte placée sur le mur de la cabane, cachant la partie verte sur elle-même, ne laissant apparaître que la face rouge servant à donner l’alarme. C’est le sauve-qui-peut général, sur le terrain, les Allemands sautent dans leurs voitures, leurs camions, d’autres dans les side-cars, nous, les jeunes abandonnés sur le terrain, nous n’avons pas le choix, nous plongeons et nous nous terrons dans un de ces cratères qu’ont fait les bombes américaines. Il faut dire que ce sont des entonnoirs de 4 à 5 mètres de profondeur sur 10 ou 12 mètres de diamètre, et au fond du trou, nous assistons en spectateurs apeurés à l’attaque aérienne qui se déroule au-dessus de nos têtes.

 « Ce sont des avions britanniques, des avions de chasse, ils passent si bas que de temps en temps, nous apercevons leurs cocardes, parfois même le pilote. Ils plongent en piqué, passent en rase-mottes, remontent aussitôt en chandelle. Ce ballet aérien se déroule dans le vacarme assourdissant du vrombissement des moteurs d’avions, des tirs de la D.C.A allemande, le tout dans un nuage de poussière, c’est un carrousel d’avions qui s’entrecroisent dans le ciel bleu au milieu des petits nuages blancs que font les obus de la D.C.A en éclatant. Cela ne dure que quelques dizaines de minutes, pour nous, elles paraissent longues et interminables, enfin le bruit cesse, le silence revient, quelques minutes après le son continu de la sirène retentit annonçant la fin de l’alerte, nous nous relevons très surpris de ne pas avoir entendu de bruit d’explosion de bombes.

 « Tout poussiéreux, nous grimpons et ressortons de notre trou, la flèche a été repliée sur son côté vert indiquant que l’alerte est finie. C’est alors que nous découvrons, avec stupéfaction, la raison de l’absence de bruit d’explosion : les « bombes anglaises » qui jonchent le terrain ne sont que de vulgaires BUCHES EN BOIS dont l’un des bouts est taillé en pointe (comme avec un taille-crayon géant) ayant la forme et la couleur de vraies bombes, avec même leurs ailettes et chaque « bombe » porte une inscription en blanc bien visible : « WOOD FOR WOOD » (signifiant bois pour bois) … C’était la réponse des Anglais aux cartes d’état-major que nous avions réussies à passer dans nos chaussettes à la barbe des occupants, les informant que les soi-disant escadrilles allemandes de chasse n’étaient en fait que du bois et du carton !

 « Ils avaient risqué leurs vies, afin de prouver à leurs ennemis que le légendaire humour britannique n’avait pas perdu ses droits, même pendant la guerre : Ah ces British !! Seul mon copain et moi savions qui était à l’origine de cette attaque. Arrivent alors, en Command-Car des officiers allemands vexés qui hurlent d’une voix rauque et mauvaise des ordres aux sentinelles revenues sur le terrain nous garder, elles nous ordonnent sèchement de ramasser les « bombes en bois » pour en faire des tas. Tout en obéissant, seul mon copain et moi qui connaissions ce secret, rions sous cape.

 « Il est bien évident que nous n’en parlerions jamais à personne, de peur d’être dénoncés, risquant de nous faire fusiller comme agents de renseignements. En ramassant ces « bombes » pour les mettre en tas, goguenards, nous disions avec ironie à haute voix afin que l’on nous entende : – « ça va leur faire une sacrée provision de bois de chauffage pour l’hiver prochain !!! ».

 « Pendant cette période de l’Occupation sous la botte nazie, se savoir être à l’origine de cette « guerre tragi-comique » et en garder le secret, quand on a 18 ans… C’est un moment fort dans une existence ! »