Après l’orage

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Avec ma compagne, nous avions transhumé en 1990 du Nord – qu’on n’appelait pas encore Les Hauts de France – pour les Cévennes ardéchoises dans le mythe du retour à la terre. Nous avions acheté à Sarrabasche sur la commune de Beaumont, en l’état et pour pas cher, une ancienne ferme qui avait été transformée en fromagerie, « la ferme du Peytot ».  Nous allions enfin vivre de notre potager bio dans un habitat du XVIème siècle, survolé par les aigles, alimenté en eau potable par une source de montagne et, suprême fantasme, muni d’un compteur EDF que nous allions débrancher du réseau grâce à des panneaux solaires qui devaient nous assurer une autonomie énergétique. De mon côté, je rêvais de créer en ce lieu une école parallèle qui aurait appliqué des principes innovants en matière de pédagogie inspirés des travaux de Rudolf  Steiner et de Maria Montessori.

Autant le confesser, nous avons franchement échoué sur ces différents tableaux. Je devins un instituteur titulaire mobile de la fonction publique dont le bilan carbone allait être catastrophique avec mes multiples déplacements liés à mes remplacements. Une situation qui s’aggrava lorsque le militant écolo que j’étais devint Conseiller régional de 1992 à 1998, assurant parfois quatre déplacements à Lyon dans la semaine sans parler des réunions à Privas, Aubenas et dans d’autres villages ardéchois. Des déplacements forcément en voiture puisque les transports collectifs étaient quasi inexistants. À cette époque, l’écolo de terrain qui se rêvait écolo de terreau, était devenu un écolo de salon avec un potager totalement en friche et un compteur EDF qui tournait à plein régime en mode EJP (Effacement des Jours de Pointe) pour mieux réchauffer une piscine couverte qui n’avait pas accès au soleil.

De cette décennie vécue quotidiennement dans les hauteurs cévenoles, j’ai conservé en mon âme un magnifique album de souvenirs fait d’images, d’odeurs et de sons. Des rires d’enfants, des baignades en rivières, des cueillettes en forêt de châtaigniers, des rochers impressionnants, un soleil chaleureux dans un ciel souvent bleu, mais aussi parfois la pluie !…

 

APRES L’ORAGE EN CEVENNES D’ARDECHE

Toute la nuit, une pluie diluvienne avait violemment battu les tuiles et les pierres du hameau. Au clair semi-obscur du matin, le ciel était encore chargé de lourds nuages gris mais le déluge avait cessé. Les herbes des prés, les feuilles des châtaigniers, tous les sentiers de terre et de roches ruisselaient encore de ce brutal baptême.

Il pleuvait rarement dans ces montagnes de la Cévenne ardéchoise. Mais lorsque le chant des cigales cessait et que le ciel tirait sa couverture grise, alors nous savions que toutes les puissances du ciel allaient se déchaîner. Dans cette partie des Cévennes, dominée par le massif du Tanargue, les orages étaient particulièrement terrifiants, et les Celtes d’autrefois avaient baptisé son majestueux sommet du nom de leur dieu du tonnerre, Tanaris, pensant qu’il y avait établi sa résidence.

Un sourd grondement attira l’attention vers l’extérieur de la ferme, il semblait remonter de la vallée. Ma compagne et moi avions gagné la terrasse du haut, véritable observatoire de montagne d’où l’on dominait les vallées de la Beaume et de la Drobie. Nous y avions une vue panoramique sur les contreforts du Tanargue et la montagne de Brison fièrement coiffée de sa tour féodale. Sous nos pieds, les dalles de pierre rouge étaient glissantes et l’air chargé d’une revigorante fraîcheur qui perçait nos narines. Le grondement était devenu fracas, il provenait du fond de la vallée. Cela ressemblait au rugissement d’un train. Immobiles sur ce balcon, nous embrassions d’un seul regard le panorama et ne pouvions prononcer un seul mot : nous contemplions l’ineffable.

De gigantesques résurgences jaillissaient des flancs des montagnes pour dévaler les pentes abruptes bousculant chênes et sapins. En des tourbillons d’écume, les chutes d’eau se déversaient en contrebas dans des ruisseaux débordants qui, à leur tour, allaient se noyer dans une rivière devenue fleuve tumultueux. Le grondement qui nous avait tirés à l’extérieur provenait des gorges où résonnait le fracas de ces flots furieux se heurtant aux roches métamorphiques. Le spectacle était grandiose, il nous semblait que la nature toute entière orchestrait rien que pour nous une symphonie à la gloire des éléments, de l’eau et de la terre.

En cet instant sacré où nos oreilles étaient étourdies et où nos regards se fondaient dans tant de beauté, toute pensée s’effaçait pour céder place à un sentiment étrange et vertigineux.  Un sentiment où se mélangeaient de la frayeur, face à ce déchaînement titanesque qui nous rendait petit et vulnérable mais aussi un sentiment d’émerveillement et de contemplation devant ces forces naturelles déployées. Médusés, nous restâmes silencieux sans bouger. Passé ce moment de sidération, un seul mot émergea dans mon esprit : merci. Un immense sentiment de gratitude envers la vie et les forces de l’univers m’envahissait. Nous n’étions ni en Suisse ni dans les Alpes autrichiennes, nous n’étions pas devant le Machu Picchu ni dans une lointaine montagne d’Amazonie.

Nous étions chez nous.

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