Suite à son rêve, l’idée effarante d’établir une « connexion » sur le web avec l’âme de son grand-père, hantait de plus en plus l’esprit de Swan. Il avait en tête quelques témoignages télévisés sur des sujets parapsychologiques qui évoquaient des cas étranges de communications post-mortem. Et après tout, pourquoi ne pas essayer ? Le seul risque encouru était de perdre son temps. Dans la solitude de sa chambre, nul n’en saurait rien et le ridicule lui serait épargné.

En ce début de soirée, Swan expédie rapidement un commentaire de texte pour l’école. Excellente plume, il caracole toujours en tête de peloton pour l’expression écrite. L’écriture est pour lui chose facile, habitué qu’il est à raconter presque quotidiennement sa vie sur ses cahiers intimes depuis plusieurs années. Des cahiers qui commencent d’ailleurs à s’entasser dans le tiroir « secret » de sa penderie. Toutefois son aisance pour les lettres souffre d’un handicap scolaire majeur, il porte en horreur les mathématiques. Paradoxe d’un dyslexique, cette aversion pour le calcul et l’analyse combinatoire, qui remonte à sa prime enfance, ne l’empêche nullement de se passionner pour l’astronomie, ni d’évoluer avec une certaine aisance dans l’univers des logiciels informatiques. Le traitement de texte de son micro-ordinateur a d’ailleurs failli un moment détrôner le rite de l’écritoire sur le cahier intime. Mais finalement la magie de l’encre du stylo plume, courant sur les lignes bleutées du vieux cahier d’école, a conservé le dernier mot.

Cela fait maintenant près d’une heure que le jeune garçon surfe sur le web à la recherche d’une trace, d’un signe, d’un quelque chose qui le relierait à son grand-père. Après avoir testé directement, et sans succès, le nom de « Samuel Mac Cabe », il lance son moteur de recherche sur « SAM », tout simplement. Passé le premier vertige lorsqu’il découvre qu’il y a plus de 16 000 réponses, il s’attaque patiemment à faire défiler toutes les adresses SAM de la planète, déterminé à ne pas renoncer et, s’il le faut, à y passer la nuit entière.

 Je suis fou, mais je m’en fous, j’irai jusqu’au bout ! se répète-t-il inlassablement.

Après avoir évacué la multitude des sites personnels tels que les Sam Oliver, Sam Janet, Sam Cathy, Sam Andy, Sara, Sylvia et cetera ; Swan supprime d’un clic de souris 3293 sites consacrés à « Oncle Sam » dans le registre  touristique, culturel et patriotique.

Il s’attaque alors au monstrueux catalogue des sites divers et agences ou entreprises ayant l’appellation SAM dans leur intitulé. S’égrène alors l’interminable litanie des Sam Club Rencontre, Sam  Alpha Conseil, Sam Canada, Sam Productions, Sam Agence de Presse et autre  Sam  «la panthère dressée »… Puis défilent ensuite tous les sigles de société possibles et imaginables: S.A.M Société d’Approvisionnement en Matériaux, S.A.M Société d’Activité Métallière, S.A.M Société Aérienne Martiniquaise, S.A.M Society Anderson Music… Les secondes de connexion se transforment en minutes, les minutes en heures.

Après avoir (promptement !) supprimé le site du Seminar for Applied Mathematic, Swan ressent le besoin de faire une pause « frigo dans la cuisine ». Ayant reconstitué quelques forces il reprend son patient travail d’investigation avec SAM Studio Agence Marsupiaux, SAM Service Agro Mécanique, SAM Sex Area Management (catalogue sur demande), SAM Site d’Associations Médicales, SAM Société Agronomique Méditerranéenne, SAM Savoir Assumer sa Masculinité, SAM Système Auteur Multimédia, SAM Solidarité Accueil Mobilité…

La liste des SAM défile inlassablement sur le moniteur, l’enfant fatigué égrène ceux-ci dans un état semi hypnotique. Plus la nuit avance, plus il se prend à douter du sens de sa démarche. Tout à coup son esprit se fige sur un sigle qui l’interpelle :

S.A.M : SOCIETY FOR ASTROPHYSICAL MEDITATION

Il relit plusieurs fois l’intitulé du site avant de cliquer, intrigué, sur l’icône d’ouverture. Il s’agit d’un site anonyme domicilié dans le New Jersey, à Princeton. Le site s’ouvre sur une citation de Shakespeare tirée d’Hamlet :

« Il y a plus de choses dans l’Univers,

  que ne peut en imaginer ta philosophie. »

S’ensuit un menu en forme de portail offrant différentes possibilités d’accès au consultant. Une rubrique d’introduction présente le site comme un espace d’échanges et d’informations sur toutes les questions concernant les problèmes de physique et d’astrophysique. On accède ensuite à un menu aux nombreuses rubriques : un forum de rencontres qui offre un espace de dialogue en direct et de libre débat, une messagerie avec boîte aux lettres, un bulletin d’information sur les dernières découvertes scientifiques, une bibliothèque de données réunissant une volumineuse bibliographie d’ouvrages et de contributions écrites ainsi qu’une importante base de données photographiques sur l’astronomie et l’espace. Une galerie comportant une centaine de portraits de physiciens, savants et astronomes agrémente le site. On y retrouve les grands noms de l’histoire de l’astrophysique des temps les plus reculés à aujourd’hui.

Le site comporte également d’abondants articles documentés sur le soleil, les  planètes du système solaire, la galaxie, l’univers extra-galactique, les nébuleuses, les pulsars, les quasars, les trous noirs… D’autres rubriques enrichissent le site, notamment celles  concernant la physique quantique, la relativité générale, ainsi que certaines théories cosmogoniques ou astrophysiques (Big Bang, théorie des cordes etc). Le site offre même la possibilité de se raccorder en direct à l’image numérisée d’un télescope dont on peut contrôler l’utilisation via Internet. L’accès est gratuit mais limité à certaines plages horaires qui nécessitent l’inscription des internautes intéressés.

Des liens permettent également d’établir une jonction avec différents sites universitaires. De conception graphique agréable,  une ergonomie facile simplifie l’utilisation du site dont Swan est le 183 788ème visiteur.

L’attention du jeune garçon est attirée en fin de menu par une icône au nom insolite :

Mentor

En sous-titre, on peut lire :

« Pour comprendre le sens de la vie, découvrez les secrets de l’univers ».

Intrigué, l’enfant clique sur cette énigmatique rubrique :

« Vous souhaitez bénéficier de l’instruction personnalisée d’un professeur en sagesse astrosophique  et  vous acceptez les conditions du protocole précisées ci-dessous. Veuillez enregistrer vos coordonnées et préciser la configuration de votre matériel informatique ».

Le protocole définit ensuite les conditions de fonctionnement de ce service de la « Society for Astrophysical Meditation ». L’étudiant candidat doit pleinement accepter le rôle d’élève d’un maître en « sagesse astrophysique », baptisée « Astrosophie », qui lui enseignera à un rythme et sur des contenus dont il sera seul juge, les fondements de la « Science Sacrée des Etoiles ». Swan se demande quelques instants s’il ne s’agit pas d’un canular internautique mais l’ensemble du site parait tellement sérieux scientifiquement.

Sans doute s’agit-il de la fantaisie d’un poète-astronome quelque peu excentrique, pense-t-il. Swan pousse plus loin sa curiosité en répondant à un petit questionnaire standard où il décline librement son identité et enregistre son mot de passe.

Après quelques minutes d’attente un texte de confirmation apparaît sur l’écran :

« Votre candidature a été acceptée par la Society for Astrophysical Meditation, souhaitez-vous communiquer en mode interactif écrit, oral ou audio-visuel ? Cliquez sur l’icône de votre choix ».